La soirée s’ouvre par une conférence de Jean-Paul Fargier, écrivain, critique de cinéma et spécialiste de l’art vidéo. Auteur du documentaire « Bill Viola – Expérience de l’infini », Jean-Paul Fargier apportera un éclairage précieux sur l’œuvre et la pensée de l’artiste...
«Allez, on repart à zéro. Même si vous l’avez déjà croisé un grand nombre de fois, toute nouvelle rencontre avec Bill Viola (1951-2024) est comme une première fois. Du genre dont on ne se remet pas ! J’ai vu ça avec mes étudiants, chaque année, quand j’abordais Viola dans mon cours sur l’art vidéo à Vincennes puis à Saint-Denis (Université Paris 8). Ils ne s’en remettaient pas : la notion d’art vidéo avait changé de niveau. Ils avaient rencontré quelqu’un.
Ce soir, au Fresnoy, nous allons nous aussi rencontrer ce Quelqu’un, à travers 3 œuvres de l’époque où il jouait solo, se mettait seul en scène, sans faire appel à des tiers, comédiens ou amis complices. Voici donc The Reflecting Pool (1977, 7’), Chott-el-Djerid (1979, 28’), The Passing (1991, 54’). Deux vidéos qui ont marqué ses débuts, une autre qui sonne, signale, accomplit son entrée dans la maturité. Trois œuvres où sa présence est patente.
Mais également épatante : elles amènent leurs spectateurs au bord de la stupéfaction. Est-ce bien vrai ce que je vois ? Comment est-ce possible ? Suis-je encore dans un état normal ? Où ai-je basculé ? J’ai appelé cette impression de désorientation des sens et surtout de la vision : la berlue, la première fois que j’ai vu The Reflecting Pool et Chott-el-Djerid en décembre 1980, à l’American Center de Paris. Depuis, j’ai revu ces vidéos des dizaines de fois et chaque fois j’ai été éberlué.
Ce soir je le serai encore en guettant le moment où le nageur de la piscine, juché sur la margelle du bassin, s’éclipse à mon insu et se fond dans le fond. Ou quand, dans le désert du Sud Tunisien, deux motards qui ne formaient d’abord qu’un seul bloc de chaleurs tremblantes se séparent, s’individualisent, tandis qu’un peu plus tard un homme avance (off) vers une flaque où ils jettent une pierre, alors qu’un peu plus loin une cohorte de femmes, coagulées par un mirage, s’agglutinent autour d’un puits. Spectacles stupéfiants de couleurs, de lenteurs, de splendeurs.